Accommodements raisonnables
Les conclusions de Bouchard-Taylor
Les deux commissaires, Charles Taylor et Gérard Bouchard
Non au crucifix à l'Assemblée nationale, dit la Commission Bouchard-Taylor. Non à la prière dans les conseils municipaux. Mais oui au hijab chez les enseignantes, les infirmières et les employées de l'État. Oui aux locaux de prière dans les écoles s'il y a des locaux temporairement inoccupés.
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Le site officiel de la Commission Bouchard-Taylor
Il n'y a pas eu de crise des accommodements raisonnables au Québec, mais plutôt une crise dans la perception de ces accommodements, ont conclu les commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor, en présentant leur rapport à la presse, aujourd'hui à Montréal.
La Commission Bouchard-Taylor a finalement rendu public un rapport qui penche plutôt en faveur du cas par cas et de la conciliation entre les parties, plutôt qu'en faveur d'établir des règles strictes et des balises face aux demandes d'accommodement raisonnable, comme le lui avaient demandé bien des citoyens venus témoigner devant elle.
Pas besoin de nouvelles balises
Visiblement, les commissaires Bouchard et Taylor estiment que les balises aux demandes d'accommodement existent déjà dans la société, grâce aux chartes, aux lois et à la jurisprudence établie par les tribunaux. Il est «faux de croire que nous ne disposons pas de repères pour encadrer les pratiques d'harmonisation», écrivent les coprésidents.
Entre autres, la commission propose de n'interdire le port de signes religieux qu'aux agents de l'État qui incarnent l'autorité de l'État, comme les procureurs de la Couronne, les policiers et les gardiens de prison. En conséquence, les enseignantes, les infirmières et les fonctionnaires pourraient très bien porter le foulard islamique, même si théoriquement l'État est laïque.
La place de la religion
Aux citoyens venus témoigner devant elle qui ont maintes fois répété que «la religion doit demeurer dans la sphère privée» et ne pas être amenée dans le milieu de travail ou l'école, les commissaires répondent sans ambages le contraire. «Les différences culturelles, et en particulier religieuses, n'ont pas à être refoulées dans le domaine privé», écrivent-ils.
La commission recommande également, au nom de la neutralité de l'État, que les conseils municipaux abandonnent la prière et que le crucifix à l'Assemblée nationale soit retiré au-dessus du siège du président pour être replacé dans un endroit où sa valeur patrimoniale aurait une meilleure justification.
Les diplômes étrangers
Les commissaires répondent à une plainte maintes fois formulée devant eux quant à la reconnaissance des diplômes étrangers en suggérant de créer un comité d'enquête pour étudier les pratiques en ce domaine des ordres professionnels.
Ils conseillent également d'instituer un comité d'experts, cette fois pour étudier la question des congés supplémentaires payés, dont bénéficient certains employés des commissions scolaires de religion autre que catholique. Ils admettent qu'il faudrait «trouver une solution équitable» pour tous.
La laïcité
Les commissaires Bouchard et Taylor conseillent également d'adopter un livre blanc sur la laïcité, qui définirait la neutralité, la séparation de l'Église et de l'État, l'égalité morale entre les personnes et la liberté de conscience et de religion.
Ils proposent aussi d'adopter une déclaration, un énoncé ou une loi sur l'interculturalisme, par opposition au multiculturalisme à la canadienne. L'accent y est davantage placé sur l'intégration et les interactions, a expliqué M. Taylor.
L'insécurité des francophones
La commission se montre effectivement critique envers la majorité francophone, lui reprochant son insécurité culturelle qui entache sa façon de percevoir la diversité culturelle. «La francophonie québécoise ne doit pas céder au parti de la peur, à la tentation du retrait et du rejet, ni s'installer dans la condition de victime», écrivent-ils.
«Les Québécois d'origine canadienne-française doivent être plus conscients des répercussions de leurs inquiétudes auprès des minorités», écrivent-ils encore.
Les commissaires reprochent à ceux qu'ils appellent les Québécois d'origine canadienne-française d'avoir gardé une rancune face à l'omniprésence passée de l'Église catholique et de transposer aujourd'hui cette hostilité envers les autres religions.
Ils les critiquent également pour leur perception erronée, selon eux, des demandes d'accommodement. «Le public, en exprimant son mécontentement face aux accommodements, s'est souvent trompé de cible. La population immigrante et les membres des minorités ethniques n'ont rien eu à voir dans plusieurs affaires», jugent les coprésidents.
Les fait saillants
Voici quelques recommandations de la Commission Bouchard-Taylor:
- Mettre sur pied un comité d'enquête indépendant pour faire la lumière sur les pratiques des ordres professionnels en matière de reconnaissance des diplômes.
- Que l'État adopte une loi ou un énoncé pour établir l'interculturalisme comme modèle devant présider aux rapports interculturels au Québec.
- Que le gouvernement adopte un Livre blanc sur la laïcité définissant ses principes.
- Qu'il soit interdit aux policiers, juges, procureurs de la Couronne et gardiens de prison de porter des signes religieux.
- Qu'il soit permis aux enseignants, fonctionnaires et professionnels de la santé de porter des signes religieux.
- Que le crucifix au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale soit retiré.
- Que les conseils municipaux abandonnent la récitation de la prière.
- Que l'État intensifie ses efforts de régionalisation de l'immigration.
- Que l'État intensifie ses efforts en matière de francisation et d'intégration des immigrants.
- Que l'État octroie plus de moyens à la Commission des droits de la personne et au Conseil des relations interculturelles.
- Que la Commission des droits de la personne produise un guide établissant des repères pratique à l'intention des gestionnaires.